KikouBlog de Epytafe - Octobre 2013
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Vanishing Act

Par Epytafe - 30-10-2013 21:42:24 - 2 commentaires

Juin 1987, j'avais 17 ans et U2 passait au stade Saint-Jacques de Bâle. Déjà en 87, je faisais figure d'exception, je n'aimais pas U2. Mais, 3 noms avaient attiré mon regard sur l'affiche : BAD, autrement dit Big Audio Dynamite, le nouveau groupe à Mick Jones, ancien Clash. Il faut que j'explique que, musicalement, j'ai eu l'immense chance que mes parents soient amis avec une famille d'Anglais, de Bradford dont les enfants se sont empressés de faire mon éducation musicale, me montrant et me faisant écouter des disques qu'ils cachaient soigneusement à leurs parents. J'ai donc découvert presque conjointement Henri Dès, Kiss que mes potes à l'écoles adulaient et les Damned, Generation X, Adam and the Ants, les Pistoles et les Clash. Ces amis d'outre-manche m'ont sauvé du triste paysage culturel dans lequel je stagnais.


Je ne sais pas si l'héroïne de la chanson "Rock'n'Roll" du Velvet Underground a réellement eu sa vie sauvée par le Rock, mais je suis certain que la mienne le fut. Sur l'affiche, se trouvait aussi les Pretenders, et voir la belle Chrissie Hynde sur scène n'était pas non plus pour me déplaire. Et, surtout, un poète New Yorkais que je ne connaissais presque pas à l'époque, un dénommé Lou Reed entouré d'une aura sulfureuse de poète maudit qui osait chanter une ode à la pire des drogues, l'héroïne, aux amphétamines aussi, et qui osait afficher son penchant pour pour les plus horribles déviations sexuelles.


Je me souviens assez peu du concert de U2, convaincu que j'étais que le plus important de cette soirée était déjà derrière moi. Juste de ce final, tout en longueur (la dernière chanson de l'album live "under a red blood sky") durant lequel tout le stade ce donnait la main, assez peu pour moi.


1989, Lou Reed, sort l'album New York et c'est toute une aventure d'aller le voir à Lucerne, mais on est récompensé par une 2ème partie très Rock durant laquelle le vieux Lou nous sert quantité de titres du Velvet, noisy à souhait.


1991, je sors de l'armée, et pour me remettre des mauvaises habitudes acquise dans la sainte institution, habitudes de consommation quelque peu excessive de substance diverses, je pars une semaine à Londres. Là-bas, je vais voir les 120 jours de Sodome dans un théâtre alternatif, et je ne suis pas déçu du voyage, par contre, vaguement choqué. Voir du Marquis de Sade en live, c'est pas commun et la mise en scène avait bien veillé à ce que l'aspect provocateur de l'ouvrage d'Alphonse François Donatien soit bien clairement représenté sur scène. Les amateurs de la prose dudit divin marquis, ou du film de Pasolini, imagineront ce que j'ai eu à voir sur cette scène. Bien plus tard lors de la même soirée, je me retrouve dans les loges à boire un mauvais whisky avec la troupe, qui s'est entre temps rhabillée, et un membre me fait écouter les bandes pirates de Magic and Loss, qu'un de ses copains journaliste avait volé je ne sais où, l'album de Lou qui sortira l'année suivante. J'en ressors ébloui.


1992, février, Lou passe deux soirs à Lausanne pour jouer Magic and Loss. J'ai des billets pour 2 soirs, ma copine juste pour le premier. C'était la première copine avec laquelle j'avais dépassé le stade de l'année, le concert de ce fameux soir sera aussi la date de notre rupture. Lou, fidèle à son habitude est exécrable, il joue son nouvel album d'une traite et excédé par les spectateurs qui lui réclament "Sweet Jane" quitte la scène. On rentre en train, sans avoir de billets, on se fait attraper et on s'engueule, les billets de train, Lou Reed, 14 mois d'histoire commune, tout y passe et on se quitte là.

Le lendemain, Lou est de meilleure humeur et après un premier set durant lequel il nous ressort son dernier album, revient et nous gratifie d'une ribambelle de vieux titres, joués avec colère et hargne. De grands, de purs instants de pur bonheur.


Été, même année, festival de Leysin. Je suis avec deux amis dans la foule pour un concert annoncé résolument Rock, et qui le fut. Je roule quelques cigarettes "parfumées". Un type arrive qui connait un de mes deux amis, je lui propose aimablement de partager notre activité, qui si elle n'est pas légale est fort pratiquée dans le cadre ce genre d'événements. Il prend le truc tire dessus, puis disparaît. Ce n'est que plus tard qu'on le retrouvera, étendu à nos pieds en proie à une difficile introspection. Il m'avouera plus tard ne pas avoir osé refuser ma proposition, ayant eu peur de moi.


1993, un vieux rêve se réalise, voir le Velvet réuni en entier, sauf Nico qui s'en était déjà allé rejoindre un monde meilleur depuis quelques années, sur scène. Le prix à payer est cher, il me faudra revoir une fois de plus U2, qui, si je ne les aimais pas en 1987, me hérisse maintenant carrément le poil. Tant pis, le concert du Velvet touche au sublime, la symbiose entre John Cale et Lou Reed est intacte, le violon de John se mélange à la guitare de Lou dans de longues impros hypnotiques qui nous transportent loin, si loin. Une version lente de Venus in Furs fera date, on peut encore l'entendre dans l'album MCMXCIII, enregistré la même année à l'Olympia.


2003, Zurich, Lou Reed fait une tournée mondiale dont sortira un double album nommé Animal Serenade, petit clin d'oeil au fameux Rock'n'Roll Animal des années 70. Le clin d'oeil est justifié, le vieux crocodile du Rock est apaisé, pratique le Tai-Chi, aimable et nous sert des versions toujours plus torturées de ses titres, accompagné de l'étrange Antony à la si suave voix aux choeurs, le chanteur d'Antony and the Johnsons et d'une violoncelliste qui nous sert quelques impros déchirées, dont une qui sublime "Venus in furs" un titre déjà mentionné, inspiré du roman éponyme de Sacher-Masoch.


Été 2003, petit concert dans les arènes romaines d'Avenches, décevant, peut-être le plus mauvais que j'ai vu. Nina Hagen qui le remplacera sur la même scène laissera un meilleur souvenir.


2008, Lou fait une tournée consacrée à son album mythique Berlin. Cet album concept, enregistré en 1973 n'avait presque jamais été joué live. Le déplacement à Zurich ne fut pas du temps perdu. Lou a engagé un petit orchestre classique et un choeur d'enfant dont les voix pures, mêlés aux guitares dures, et aux violons contrastent sublimement avec les thèmes de l'album. "The Kids" en particulier qui raconte l'histoire d'une mère junckie à qui on a retiré ses enfants et qui se termine par un déluge de larmes et de choeurs touche au sublime. Sad Song également, qui débute par un choeur fait partie des titres qui élèvent le Rock'n'Roll à un niveau jamais atteint. Lou nous fait naviguer dans d'insoupçonnées hauteur avant de nous plaquer au sol, tutoyer les anges avant de nous laisser brutalement retomber d'un riff cruel dans la fange la plus nauséabonde.


Ce sera la dernière fois que je le verrai en concert, mais depuis cette folle nuit de débauche de 1989 durant laquelle un ami m'a donné le CD de Berlin, j'ai du écouter cet album bimensuellement et ses chansons ont continué de m'accompagner et continueront.


Octobre 2013, Cuzco, Pérou. Ma vie balance, oscille, vrille et j'ai envie de musique. Mon baladeur pomocustomisé ayant rendu l'âme dans l'avion qui me livrait sur ce continent nouveau pour moi, je suis en manque. Dans ce petit hôtel, le wifi est bon et grâce à YouTube, j'écoute Vanishing Act : "It must be nice to disapear, to have a vanishing act..."


Octobre 2013, Porto, Portugal, sur la route du retour, au bord de la plage je regarde le soleil se coucher en savourant un maté, oscillante, ma vie réclame encore de la musique. Vanishing Act encore une fois : "It must be nice to dis..."


À ce moment, mon frangin, qui partage une bonne partie de mes goûts musicaux m'envoie un sms laconique : "Il semblerait que Lou Reed soit parti en tournée dans l'au-delà..."

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La Paz, sept heure du mat’

Par Epytafe - 21-10-2013 16:31:14 - 6 commentaires

Je finis mon thé, me reverse un maté, j’ai encore un peu de temps. Le maté soulage un peu ma légère gueule de bois, souvenir de la petite fiesta improvisée hier au soir, sur ce même toit où je me trouve. Petite fiesta improvisée, certes, mais quasi-quotidienne. Ce bouge de La Paz mène le bal tous les soirs ou presque. Une bande d’Argentins a investi les lieux, hier soir ils carburaient au Fernet-Coca, un mélange qui, outre son goût un peu dégueu, s’avère redoutable.

Je buvais un thé sur ce toit lorsque je me suis retrouvé entouré d’Argentins (ou plutôt d’Argentines, un ratio de 4 : 1) et tout naturellement inclus dans la fiesta, malgré les difficultés que j’ai à comprendre leur espagnol plutôt rocailleux. De plus, la plaza San-Francisco, toute proche abritait une immense teuf avec fanfares et concerts, le tout régulièrement couvert par les pétards et les feux d’artifices sans lesquels on ne conçoit pas une fête sur ce continent fou.

Sept heure dix, je vide une dernière gourde de maté, la nettoie et quitte définitivement le toit de l’hôtel. Cette ville va me manquer, j’y laisse un appareil de photo, deux objectifs, un ordinateur, un téléphone portable et plus de 300 dollars US qu’on m’a dérobé dans des conditions peu agréables. Mais malgré que je m’y sois fais volé à deux reprises, je laisse dans cette ville quantités d’amis, de bons moments, d’interminables discussions, de sentiments forts et partagés, bref, cette ville me manque déjà. Sept soirées passées sur le toit de cette ruine d’hôtel dont les conditions de conforts des plus précaires cachent à l’œil non-initié une réserve de chaleur humaine peu commune, sept soirés créent des liens.

Mon sac sur le dos, les clefs rendues, je sors. La gare routière est à 20 minutes à pied environ, peut-être un peu plus vu l’altitude et la pollution.

Dimanche matin, sept heure quinze. Les rues proches de l’hostel, habituellement animées sont désertes, boutiques de souvenirs, un luthier, et surtout les tiendas esotericas, boutiques de sorcières qui recèlent quantités de potions ainsi que des fœtus de lamas séchés censés porter chance si on en enterre sous chaque nouvelle construction, tiendas esotericas dont les vendeuses, coiffées du chapeau melon bolivien, jettent des regards peu amènes au gringo qui s’intéresse de trop près à leur commerce.

Désertes les rues ? Pas longtemps. Le premier virage passé me dévoile quatre cadavres plus ou moins entassés les uns sur les autres, un d'eux bouge encore et tend la main à la recherche de sa bouteille de coca qui doit probablement contenir  également d’autres ingrédients. Plus loin, c’est dantesque. Pommettes éclatés, dents cassés, bouches qui saignent, je crois même voir un œil crevé, fantômes titubant pour les moins amochés. Sur les bancs sont entassés d’autres fêtards ensanglantés qui, à voir leurs étreintes inconscientes, semblent s’être réconciliés. Le sol est jonché de brique de verre, de flaques aux couleurs indéfinissables mais dont la couleur laisse deviner le contenu, d’étrons aussi. La fête semble avoir été bonne, très bonne. Indifférents, une équipe d’ouvriers achève le démontage de la scène.

Le trafic est déjà infernal, les bus lâchent d’immenses trainées de gaz noires et denses qui envahissent toute la rue. Sept heure vingt, je viens de boire une bouteille d’eau et un demi-litre de maté, mais déjà ma bouche et mon nez sont secs. Sur l’étroit trottoir, de grosses boliviennes ouvrent leurs étals, d’un demi mètre carré chaque, sur lequel elles préparent des repas à emporter sur de minuscules réchauds à alcool, gaz ou à essence. Patates frites, abats grillés, bananes frites ou Francforts (une vague d’immigration allemande au milieu du XXème siècle à quelque peu modifié les habitudes alimentaires locales…)

A côté de ces étales, posés à même le sol, un carton fatigué dans lequel, emmitouflé dans un poncho sale, un bébé, le nez à ras les gaz des camions, tétant  goulument un biberon qui contient une boisson beaucoup trop sucrée qui finira invariablement par le rendre obèse, apprend seul à vivre pendant que sa mère se bat pour la pitance, trop sucrée du lendemain. Pendant que sa mère se bat pour des lendemains qui ne chanteront pas.

La Paz, bientôt sept heure trente, je regrette vraiment mon appareil de photo, et déjà, cette ville me manque.

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