Par Epytafe - 12-11-2013 21:37:11 - 13 commentaires
Koshkor, 2012.
Sa rue centrale, sa statuts de Lénine qui tombe en ruine, son bistrot dans lequel les mouches se sentent plus à l'aise que les clients, nappes crasseuses, grasses de suif de mouton, son Wifi, indispensable, ou presque.
Il est tôt encore ce dimanche matin d'août, sept heure peut être, je ne me souviens plus exactement. Quatre vieillards éclusent la première Vodka du matin, silencieux, contemplant leur verres d'un regards vides. Ambiance un peu glauque dans ce Kirghizstan qui a de la peine à négocier avec les démons de son passé. Lénine occupe encore les places centrales de toutes les villes, mais mieux que la systématique marxiste, c'est surtout la Vodka, locale, terrible tord-boyau au relents de mazouts, qui perdure ici.
C'est dans ce troquet minable qu'on a rendez-vous avec notre chauffeur. Il doit nous amener à quelques huit kilomètres d'ici, dans un village d'où nous monterons à pied jusqu'au lac de Kol-Ukok. Lac d'Ukok serait plus juste en fait, manifestement, Kol signifie lac en kirghize. Il arrive, avec les 20 minutes de retard de rigueur par ici, il a l'air frais, heureusement. Je me rend à l'épicerie du bled qui a enfin ouvert, pour chercher de l'eau. Ce produit ne semble intéresser que moi, un môme, 14,15 ans à peine achete une dose de Vodka, vendue ici dans des gobelets de plastique transparent de la taille d'un pot de yaourt. Son regard est fuyant, il sue, déjà atteint. Je ressors et on part.
Le soleil brille, la campagne kirghize est belle, dans les champs, quelques paysans fabriquent des briques d'adobe pour de futures fermes. Entassées au soleil, claires, belles, ces piles de briques parsèment le pays. C'est beau. Après quelques minutes de route, on arrive vers une ferme, le chauffeur nous montre une immense vallée qui s'étale entre les montagnes du Tian-Shan, nous montre vaguement la droite et nous raconte un truc en kirghize. Dans ma poche, une carte au 100'000ème, de mauvaise qualité, imprimée dans une boutique de Bishkek. Bref, on verra bien. Nous partons.
Le paysage est grandiose, démesuré. Les montagnes sont claires, presque blanches, couvertes à leur bases d'une herbe rase, claire, jaunie par le soleil. Les heures passent et on ne se lasse pas du paysage dans lequel on évolue, seuls. Une première rivière, on la traverse à gué. Plus loin, une deuxième, violente, un torrent profond et vicieux qu'il faudra bien traverser. On la remonte, la redescend, cherchant longtemps un endroit qui ne nous semble pas trop dangereux. Finalement, je m'aventure et m'en sors sans dommage. Ma compagne me suit et plonge ses deux chaussures dans 50cm d'eau coléreuse et froide. On continue. Plus loin, un cavalier, seul sur son cheval qui oscille à peine la tête à notre bonjour, brûlé de soleil et d'alcool, puis deux touristes qui nous confirment que la direction suivie est la bonne. La fille est souriante, le mec occupe la conversation à me demander ou trouver les prix les moins chers. Il m'agace, on repart.
Sur notre droite, une vallée et une ébauche de sentier, ça doit être là. Une immense vallée, large, solitaire nous accueille. On la remonte quelques heures, seuls au monde, heureux, enivrés par cette impression de solitude, de découverte. Brusquement, la vallée se ferme par une espèce de muraille verte qu'il va nous falloir grimper. Au milieu de ce mur, un cavalier fait des aller-retours qui nous semblent étranges. Arrivés à sa hauteur, nous comprenons, il parle dans un portable, probablement le seul endroit de la vallée où il peut attraper un bout de réseau. Je sors mon portable kirghize en plastique de ma poche et les deux barrettes sur l'écran confirment notre supposition. De type mongole, coiffé d'un immense chapeau de feutre, chaussé de grosses bottes, on se croirait presque revenu au temps de la horde d'or, ne serait-ce le concentré de technologie qu'il tient dans sa main droite.
Encore quelques mètres de montée et on arrive en haut de cette paroi, on débouche sur le lac, bleu, évidemment, magnifique. A l'autre extrémité, on distingue quelques yourts qui fument. Nous dormirons dans l'une d'elle. Le sentier longe la montagne, étroit, peu sûr, il faut prendre garde de ne pas basculer dans le lac, 30 mètres plus bas. Trois chevreaux arrivent. Sur le premier, un homme, âgé, dents en or, tanné par le soleil, souriant, enfin. Sa fille monte le deuxième canasson alors que le troisième est chargé d'un fatras duquel émerge un matelas roulé et quelques couvertures. On discute quelques minutes et malgré la barrière des langues, on comprend que le vieux emmène sa fille au pensionnat local. On repart.
De l'autre côté du lac, on trouve la yourte qui nous logera. Accueil traditionnel au kumiss, lait de jument fermenté, extrêmement aigre. J'adore, en reprend deux ou trois bols, ce qui me permet de constater que ce truc cogne un peu. A côté, le grand père démonte et remonte ses cartouche de chasse avec un couteau, je suis vaguement inquiet, mais je me rassure en constatant que papy a encore tous ses doigts, il doit savoir ce qu'il fait.
Plus tard, repas sous la tente, thé noir, très fort, riz et mouton. De toute manière, tout à le goût de mouton dans ce pays. Ici, pas d'huile, on cuisine au cul de mouton. Ces bestioles ont en effet une énorme bosse sur leur cul qui, une fois la bébête tuée, est récupérée et sert de graisse à tout faire. Même un bol de riz pue le suif. Durant la nuit je regretterai mes excès de thé qui me forceront à aller régulièrement pisser hors de la yourte, dans ce trou infâme qui sert de wc. Les estivants du coin creusent un grand trou en début d'été, ajoutent deux planches par dessus et voici les chiottes de l'année. Je vous laisse imaginer le fumet qui s'échappe quand vous urinez là-dedans. Belle consolation toutefois, mes aller retours aux wc me permettent de contempler un ciel étoilé d'une rare pureté. Drôle aussi de croiser des cheveaux et des moutons dans le noir. J'ai une frontale, mais je préfère m'en passer, afin de laisser la sensibilité de mes yeux réglée sur maximum, pour voir les étoiles.
Matin, glacial, on est à plus de 3'000, thé, pain au goût de Mouton, sublime confiture au miel, et on repart. Le même trajet, à l'envers. Des mômes provenant d'une autre yourt font la course sur de petits ânes qu'ils malmènent, les plaies à vif sur les flancs de ces pauvres équidés en témoignent. J'ai envie de leur mettre une baffe, j'adore les ânes, mais j'aime bien les mômes aussi, alors je me retiens. On relonge le lac, les couleurs matinales sont sublimes. Plus loin, quatre vautours décollent en nous voyant arriver, et nous suivent en nous tournant dessus, mauvaise augure?
Plus tard, plus loin, trois cavaliers montent doucement, arrivent à notre hauteur. Dessus, trois costauds, manifestement complètement pleins, c'est à peine dix heure du matin. Le premier m'adresse la parole, hautain, agressif. Je ne comprend évidemment rien et ne fait aucun effort, ça sent l'embrouille et je ne suis pas de taille. La lutte kirghize est le sport national ici. J'aurai l'occasion de voir un môme de 14 ans étaler un touriste allemand, balaise, de 100 kilos sans cesser de sourire. Le deuxième sport national est le buzkashi. Deux équipes de cavalier sur un terrain, à chaque extrémité du terrain sont dessinés deux cercles. Au milieu, on place une carcasse de mouton décapité, ou de veau. Le but du jeu est de placer la carcasse dans le cercle de l'adversaire, presque tous les coups étant permis. Ce sport, magnifique, est aussi extrêmement violent. Bref, trois cavaliers, kirghizes sont très largement en état de me faire la peau.
Le type insiste, il veut se faire comprendre. Il répète un mot que je comprend bien. Photos, photos et me montre ma compagne qui est quelques mètres derrière moi. Mon appareil photo est bien caché au fond de mon sac et je n'ai aucune intention de m'en servir, encore moi d'organiser une séance de pose improvisée entre ma compagne et ces trois brutes. Ils puent l'alcool, encore. Cet alcoolisme chronique et violent de l'Asie centrale me lasse, c'est laid, moche et surtout triste à voir. Le mec insiste encore, je lui répond, fermement. -Non!
Vexé, il lève son fouet dans ma direction. Merde, ça s'aggrave. Je commence à flipper un peu mais je ne lâche pas les yeux du bonhomme, tout en repliant mon bras. Je tiens à la main ma paire de bâtons de marche que j'ai eu la bonne idée de replier un peu plus tôt. Ma seule chance, s'il me frappe, je plante mes bâtons dans le flanc du canasson en espérant que la douleur le fasse fuir.
C'est long, on se fixe, son bras, levé, le mien plié, prêt également à frapper. Puis, le bonhomme me lâche un flot d'injures, replie son bras et les trois cavaliers repartent, doucement. Je respire.
Je me suis retourné toute les deux minutes sur le reste du trajet....