Par Epytafe - 17-02-2012 10:03:42 - 7 commentaires
1er septembre
Le réveil à Sitojaure est facile, avec 15 Finlandais qui arpentent les couloirs. Pendant le p’tit dèj’ une dame au parler totalement abscond pour le non finnophone que je suis vient me parler. Après pas mal de gestes, de sourires et de grimaces, je finis par comprendre que les incompréhensiblidiomophones ont décidés de marcher léger pour leurs derniers jours et qu’ils se débarrassent de leurs multiples sachets de menus complets lyophilisés. Je remercie la Dame en finnois (C’est le seul mot que j’avais réussi à apprendre lors d’un précédent séjour dans le Nord) et me marre en regardant les paquets. Pas un mot d’anglais ou d’allemand sur ces trucs. Du finnois, du lituanien, de l’estonien et du suédois. Les illustrations présentant des sportifs qui se régalent, je ne sais même pas ce qu’il y a dans ces paquets. J’émets l’hypothèse que les nombres entiers expriment le temps et les nombres à virgules le volume d’eau à ajouter. Mon voyage va devenir de plus en plus surprenant, toujours est-il que je partage avec mon teutophone compagnon de voyage quelques 8 kilos de nourriture variée et que, allergique à rien, je compte bien tout ruper, sans compter les substantielles économies réalisées. Si par hasard un de ces aimables retraités du nord passe par ici, je lui adresse mes remerciements les meilleurs.
Le programme du jour dépendra de la météo. J’ai toujours envie de gravir le Skierfe, mais je ne veux pas m’arrêter pour attendre une éventuelle éclaircie, je décide donc de reprendre un rythme plus soutenu, je veux aller jusqu’à Parte, à 37 kilomètres de Sitojaure, à moins que le Skierfe soit dégagé. Dans ce cas, je le gravis et je m’arrête au refuge au pied du rocher, mais j’ai de sérieux doute, le ciel est gris et la pluie n’est jamais loin. Mathias lui veut marcher 25 bornes, pas plus. Il tente de me persuader de faire pareil mais je sais que je continuerai. D’autant plus que le besoin de solitude revient vite et fort. Je veux être à Kvikkjok demain après-midi pour avoir le temps de m’organiser pour la suite. Après Kvikkjok, il n’y a plus rien, juste un balisage. Il me faudra camper et je ne pourrai compter que sur moi.
Je presse un peu Mathias qui aime prendre son temps et on démarre, tôt. On marche un kilomètres et on arrive vers un ponton ou nous attend le mari de la tenancière du refuge. Il nous mène de l’autre côté du lac contre quelques billets et on repart. On recommence le même programme, montée, rude aujourd’hui, plat et descente sur Akste. On contemple le début du sentier qui mène à Skierfe mais il disparaît rapidement dans la brume, dommage. Un rapide passage au refuge d’Akste et on repart. On repart ?
Le refuge d’Akste est tenu par un vénérable papy qui débroussaille les environ. En discutant, Mathias se rend rapidement compte que ce Monsieur est Allemand. Il lui pose la question et c’est le débordement. Cet homme né en Allemagne est en suède depuis 1946. Tout môme, il a suivit des parents qui fuyaient les ruines fumantes de l’après-guerre. Son père écrasé sous le poids d’une culpabilité sur laquelle notre interlocuteur ne s’étendra pas est venu se réfugié en Suède et a refait sa vie loin de tout, dans ce grand Nord sauvage. La culpabilité, c’est comme l’hémophilie, héréditaire. Notre homme donc, bien que venu en Suède tout môme est resté caché loin des hommes pour expier des fautes qu’il n’a pas commis. Il a toutefois fini par ce marier avec une fille du coin, mais sur le tard, il n’a pas d’enfants. En 1995, après 40 ans d’éloignement il est allé en Allemagne avec sa femme, 2 semaines en vacances, histoire de voir de prêt au moins une fois. On l’écoute causer, fasciné par la "petite histoire", puis, soudainement, il nous vend deux chocolats et nous souhaite bonne route, les vannes se sont refermées, Madame nous sourit et on repart, un peu plus lourd…
Akste est situé sur le delta de la Rapa, delta qu’il va nous falloir traverser. Quand on arrive au bord de l’eau, on voit trois suédois qui se gratte le crane en regardant une barque. Merde, on est du côté à une barque et le delta est large. De plus, il y a une immense collection de rames cassées à côté de la barque. On fouille et on finit par trouver une paire qui a l’air utilisable. On s’entasse à cinq dans la barque, 5 plus les sacs à dos, c’est lourd et l’eau n’est pas loin. Un type commence à ramer. C’est lourd, lent et laborieux. Après un kilomètre, une rame casse… Il en reste 3… Là, on est dans la merde… En s’y prenant doucement, on tente de pagayer avec l’autre rame, un coup à gauche, un à droite, un à gauche… C’est encore plus long, mais on finit par revenir à notre point de départ. Pendant que mes compagnons fouillent les alentours pour chercher une éventuelle autre rame, je remonte le delta, il m’a en effet semblé apercevoir un pécheur plus haut. Je tombe rapidement sur un autre papy, grincheux celui-là. Mais quand je lui dis qu’on est 5, il se montre intéressé par quelques billets. On s’installe dans le bateau, un couple arrive, on se sert et le papy est carrément souriant, 7 billets…
De l’autre côté, on se perd un peu avant de recommencer à monter. Après une heure, on s’arrête pour manger dans une petite forêt. Je vais chercher de l’eau à la rivière et je vois des empreintes d’élans. Je serai passé prêt de ce bulldozer à cornes, dommage, je n’en verrai pas. On continue à monter puis on longe une longue longue montagne. Pas de haut-plateau aujourd’hui mais une longue ballade à flanc de montagnes. On passe prêt d’une cabane, ouverte. Mathias décide de s’y arrêter et tente de me persuader de rester. Je refuse et on se quitte sur un léger malentendu. Mathias prend mon départ personnellement. Il n’a pas tout tort d’ailleurs, mais ce n’est pas après lui que j’en ai, j’ai juste besoin d’être seul. Dommage de se quitter de cette façon.
Le sentier se confond avec le ruisseau et je me casse la g… sur une pierre. Je tente d’accélérer un peu le pas, toutes ces rencontres du jour m’ont pas mal retardé. Je vois au loin un lac, dans la vallée, le refuge est encore loin. Je m’enfonce dans la forêt et je finis par allumer ma frontale, il est vraiment tard. Je croise quelques rennes au galop, terrorisés par ma frontale. Images de fugitive beauté qui me font sursauter à chaque fois.
Finalement, j’arrive au refuge de Parte, il fait presque totalement nuit. La cabane du gardien est éclairée, je toc et je suis, comme toujours, bien accueilli. Dans l’autre cabane, deux charmantes suédoises qui mangent une soupe, et moi. Les deux filles rigolent entre elles, je leur parle en anglais pour leur signifier que je ne comprends pas un mot de suédois et qu’elles peuvent délirer en paix et vais me coucher.