Par Epytafe - 12-11-2013 21:37:11 - 13 commentaires
Koshkor, 2012.
Sa rue centrale, sa statuts de Lénine qui tombe en ruine, son bistrot dans lequel les mouches se sentent plus à l'aise que les clients, nappes crasseuses, grasses de suif de mouton, son Wifi, indispensable, ou presque.
Il est tôt encore ce dimanche matin d'août, sept heure peut être, je ne me souviens plus exactement. Quatre vieillards éclusent la première Vodka du matin, silencieux, contemplant leur verres d'un regards vides. Ambiance un peu glauque dans ce Kirghizstan qui a de la peine à négocier avec les démons de son passé. Lénine occupe encore les places centrales de toutes les villes, mais mieux que la systématique marxiste, c'est surtout la Vodka, locale, terrible tord-boyau au relents de mazouts, qui perdure ici.
C'est dans ce troquet minable qu'on a rendez-vous avec notre chauffeur. Il doit nous amener à quelques huit kilomètres d'ici, dans un village d'où nous monterons à pied jusqu'au lac de Kol-Ukok. Lac d'Ukok serait plus juste en fait, manifestement, Kol signifie lac en kirghize. Il arrive, avec les 20 minutes de retard de rigueur par ici, il a l'air frais, heureusement. Je me rend à l'épicerie du bled qui a enfin ouvert, pour chercher de l'eau. Ce produit ne semble intéresser que moi, un môme, 14,15 ans à peine achete une dose de Vodka, vendue ici dans des gobelets de plastique transparent de la taille d'un pot de yaourt. Son regard est fuyant, il sue, déjà atteint. Je ressors et on part.
Le soleil brille, la campagne kirghize est belle, dans les champs, quelques paysans fabriquent des briques d'adobe pour de futures fermes. Entassées au soleil, claires, belles, ces piles de briques parsèment le pays. C'est beau. Après quelques minutes de route, on arrive vers une ferme, le chauffeur nous montre une immense vallée qui s'étale entre les montagnes du Tian-Shan, nous montre vaguement la droite et nous raconte un truc en kirghize. Dans ma poche, une carte au 100'000ème, de mauvaise qualité, imprimée dans une boutique de Bishkek. Bref, on verra bien. Nous partons.
Le paysage est grandiose, démesuré. Les montagnes sont claires, presque blanches, couvertes à leur bases d'une herbe rase, claire, jaunie par le soleil. Les heures passent et on ne se lasse pas du paysage dans lequel on évolue, seuls. Une première rivière, on la traverse à gué. Plus loin, une deuxième, violente, un torrent profond et vicieux qu'il faudra bien traverser. On la remonte, la redescend, cherchant longtemps un endroit qui ne nous semble pas trop dangereux. Finalement, je m'aventure et m'en sors sans dommage. Ma compagne me suit et plonge ses deux chaussures dans 50cm d'eau coléreuse et froide. On continue. Plus loin, un cavalier, seul sur son cheval qui oscille à peine la tête à notre bonjour, brûlé de soleil et d'alcool, puis deux touristes qui nous confirment que la direction suivie est la bonne. La fille est souriante, le mec occupe la conversation à me demander ou trouver les prix les moins chers. Il m'agace, on repart.
Sur notre droite, une vallée et une ébauche de sentier, ça doit être là. Une immense vallée, large, solitaire nous accueille. On la remonte quelques heures, seuls au monde, heureux, enivrés par cette impression de solitude, de découverte. Brusquement, la vallée se ferme par une espèce de muraille verte qu'il va nous falloir grimper. Au milieu de ce mur, un cavalier fait des aller-retours qui nous semblent étranges. Arrivés à sa hauteur, nous comprenons, il parle dans un portable, probablement le seul endroit de la vallée où il peut attraper un bout de réseau. Je sors mon portable kirghize en plastique de ma poche et les deux barrettes sur l'écran confirment notre supposition. De type mongole, coiffé d'un immense chapeau de feutre, chaussé de grosses bottes, on se croirait presque revenu au temps de la horde d'or, ne serait-ce le concentré de technologie qu'il tient dans sa main droite.
Encore quelques mètres de montée et on arrive en haut de cette paroi, on débouche sur le lac, bleu, évidemment, magnifique. A l'autre extrémité, on distingue quelques yourts qui fument. Nous dormirons dans l'une d'elle. Le sentier longe la montagne, étroit, peu sûr, il faut prendre garde de ne pas basculer dans le lac, 30 mètres plus bas. Trois chevreaux arrivent. Sur le premier, un homme, âgé, dents en or, tanné par le soleil, souriant, enfin. Sa fille monte le deuxième canasson alors que le troisième est chargé d'un fatras duquel émerge un matelas roulé et quelques couvertures. On discute quelques minutes et malgré la barrière des langues, on comprend que le vieux emmène sa fille au pensionnat local. On repart.
De l'autre côté du lac, on trouve la yourte qui nous logera. Accueil traditionnel au kumiss, lait de jument fermenté, extrêmement aigre. J'adore, en reprend deux ou trois bols, ce qui me permet de constater que ce truc cogne un peu. A côté, le grand père démonte et remonte ses cartouche de chasse avec un couteau, je suis vaguement inquiet, mais je me rassure en constatant que papy a encore tous ses doigts, il doit savoir ce qu'il fait.
Plus tard, repas sous la tente, thé noir, très fort, riz et mouton. De toute manière, tout à le goût de mouton dans ce pays. Ici, pas d'huile, on cuisine au cul de mouton. Ces bestioles ont en effet une énorme bosse sur leur cul qui, une fois la bébête tuée, est récupérée et sert de graisse à tout faire. Même un bol de riz pue le suif. Durant la nuit je regretterai mes excès de thé qui me forceront à aller régulièrement pisser hors de la yourte, dans ce trou infâme qui sert de wc. Les estivants du coin creusent un grand trou en début d'été, ajoutent deux planches par dessus et voici les chiottes de l'année. Je vous laisse imaginer le fumet qui s'échappe quand vous urinez là-dedans. Belle consolation toutefois, mes aller retours aux wc me permettent de contempler un ciel étoilé d'une rare pureté. Drôle aussi de croiser des cheveaux et des moutons dans le noir. J'ai une frontale, mais je préfère m'en passer, afin de laisser la sensibilité de mes yeux réglée sur maximum, pour voir les étoiles.
Matin, glacial, on est à plus de 3'000, thé, pain au goût de Mouton, sublime confiture au miel, et on repart. Le même trajet, à l'envers. Des mômes provenant d'une autre yourt font la course sur de petits ânes qu'ils malmènent, les plaies à vif sur les flancs de ces pauvres équidés en témoignent. J'ai envie de leur mettre une baffe, j'adore les ânes, mais j'aime bien les mômes aussi, alors je me retiens. On relonge le lac, les couleurs matinales sont sublimes. Plus loin, quatre vautours décollent en nous voyant arriver, et nous suivent en nous tournant dessus, mauvaise augure?
Plus tard, plus loin, trois cavaliers montent doucement, arrivent à notre hauteur. Dessus, trois costauds, manifestement complètement pleins, c'est à peine dix heure du matin. Le premier m'adresse la parole, hautain, agressif. Je ne comprend évidemment rien et ne fait aucun effort, ça sent l'embrouille et je ne suis pas de taille. La lutte kirghize est le sport national ici. J'aurai l'occasion de voir un môme de 14 ans étaler un touriste allemand, balaise, de 100 kilos sans cesser de sourire. Le deuxième sport national est le buzkashi. Deux équipes de cavalier sur un terrain, à chaque extrémité du terrain sont dessinés deux cercles. Au milieu, on place une carcasse de mouton décapité, ou de veau. Le but du jeu est de placer la carcasse dans le cercle de l'adversaire, presque tous les coups étant permis. Ce sport, magnifique, est aussi extrêmement violent. Bref, trois cavaliers, kirghizes sont très largement en état de me faire la peau.
Le type insiste, il veut se faire comprendre. Il répète un mot que je comprend bien. Photos, photos et me montre ma compagne qui est quelques mètres derrière moi. Mon appareil photo est bien caché au fond de mon sac et je n'ai aucune intention de m'en servir, encore moi d'organiser une séance de pose improvisée entre ma compagne et ces trois brutes. Ils puent l'alcool, encore. Cet alcoolisme chronique et violent de l'Asie centrale me lasse, c'est laid, moche et surtout triste à voir. Le mec insiste encore, je lui répond, fermement. -Non!
Vexé, il lève son fouet dans ma direction. Merde, ça s'aggrave. Je commence à flipper un peu mais je ne lâche pas les yeux du bonhomme, tout en repliant mon bras. Je tiens à la main ma paire de bâtons de marche que j'ai eu la bonne idée de replier un peu plus tôt. Ma seule chance, s'il me frappe, je plante mes bâtons dans le flanc du canasson en espérant que la douleur le fasse fuir.
C'est long, on se fixe, son bras, levé, le mien plié, prêt également à frapper. Puis, le bonhomme me lâche un flot d'injures, replie son bras et les trois cavaliers repartent, doucement. Je respire.
Je me suis retourné toute les deux minutes sur le reste du trajet....
Par Epytafe - 30-10-2013 21:42:24 - 2 commentaires
Juin 1987, j'avais 17 ans et U2 passait au stade Saint-Jacques de Bâle. Déjà en 87, je faisais figure d'exception, je n'aimais pas U2. Mais, 3 noms avaient attiré mon regard sur l'affiche : BAD, autrement dit Big Audio Dynamite, le nouveau groupe à Mick Jones, ancien Clash. Il faut que j'explique que, musicalement, j'ai eu l'immense chance que mes parents soient amis avec une famille d'Anglais, de Bradford dont les enfants se sont empressés de faire mon éducation musicale, me montrant et me faisant écouter des disques qu'ils cachaient soigneusement à leurs parents. J'ai donc découvert presque conjointement Henri Dès, Kiss que mes potes à l'écoles adulaient et les Damned, Generation X, Adam and the Ants, les Pistoles et les Clash. Ces amis d'outre-manche m'ont sauvé du triste paysage culturel dans lequel je stagnais.
Je ne sais pas si l'héroïne de la chanson "Rock'n'Roll" du Velvet Underground a réellement eu sa vie sauvée par le Rock, mais je suis certain que la mienne le fut. Sur l'affiche, se trouvait aussi les Pretenders, et voir la belle Chrissie Hynde sur scène n'était pas non plus pour me déplaire. Et, surtout, un poète New Yorkais que je ne connaissais presque pas à l'époque, un dénommé Lou Reed entouré d'une aura sulfureuse de poète maudit qui osait chanter une ode à la pire des drogues, l'héroïne, aux amphétamines aussi, et qui osait afficher son penchant pour pour les plus horribles déviations sexuelles.
Je me souviens assez peu du concert de U2, convaincu que j'étais que le plus important de cette soirée était déjà derrière moi. Juste de ce final, tout en longueur (la dernière chanson de l'album live "under a red blood sky") durant lequel tout le stade ce donnait la main, assez peu pour moi.
1989, Lou Reed, sort l'album New York et c'est toute une aventure d'aller le voir à Lucerne, mais on est récompensé par une 2ème partie très Rock durant laquelle le vieux Lou nous sert quantité de titres du Velvet, noisy à souhait.
1991, je sors de l'armée, et pour me remettre des mauvaises habitudes acquise dans la sainte institution, habitudes de consommation quelque peu excessive de substance diverses, je pars une semaine à Londres. Là-bas, je vais voir les 120 jours de Sodome dans un théâtre alternatif, et je ne suis pas déçu du voyage, par contre, vaguement choqué. Voir du Marquis de Sade en live, c'est pas commun et la mise en scène avait bien veillé à ce que l'aspect provocateur de l'ouvrage d'Alphonse François Donatien soit bien clairement représenté sur scène. Les amateurs de la prose dudit divin marquis, ou du film de Pasolini, imagineront ce que j'ai eu à voir sur cette scène. Bien plus tard lors de la même soirée, je me retrouve dans les loges à boire un mauvais whisky avec la troupe, qui s'est entre temps rhabillée, et un membre me fait écouter les bandes pirates de Magic and Loss, qu'un de ses copains journaliste avait volé je ne sais où, l'album de Lou qui sortira l'année suivante. J'en ressors ébloui.
1992, février, Lou passe deux soirs à Lausanne pour jouer Magic and Loss. J'ai des billets pour 2 soirs, ma copine juste pour le premier. C'était la première copine avec laquelle j'avais dépassé le stade de l'année, le concert de ce fameux soir sera aussi la date de notre rupture. Lou, fidèle à son habitude est exécrable, il joue son nouvel album d'une traite et excédé par les spectateurs qui lui réclament "Sweet Jane" quitte la scène. On rentre en train, sans avoir de billets, on se fait attraper et on s'engueule, les billets de train, Lou Reed, 14 mois d'histoire commune, tout y passe et on se quitte là.
Le lendemain, Lou est de meilleure humeur et après un premier set durant lequel il nous ressort son dernier album, revient et nous gratifie d'une ribambelle de vieux titres, joués avec colère et hargne. De grands, de purs instants de pur bonheur.
Été, même année, festival de Leysin. Je suis avec deux amis dans la foule pour un concert annoncé résolument Rock, et qui le fut. Je roule quelques cigarettes "parfumées". Un type arrive qui connait un de mes deux amis, je lui propose aimablement de partager notre activité, qui si elle n'est pas légale est fort pratiquée dans le cadre ce genre d'événements. Il prend le truc tire dessus, puis disparaît. Ce n'est que plus tard qu'on le retrouvera, étendu à nos pieds en proie à une difficile introspection. Il m'avouera plus tard ne pas avoir osé refuser ma proposition, ayant eu peur de moi.
1993, un vieux rêve se réalise, voir le Velvet réuni en entier, sauf Nico qui s'en était déjà allé rejoindre un monde meilleur depuis quelques années, sur scène. Le prix à payer est cher, il me faudra revoir une fois de plus U2, qui, si je ne les aimais pas en 1987, me hérisse maintenant carrément le poil. Tant pis, le concert du Velvet touche au sublime, la symbiose entre John Cale et Lou Reed est intacte, le violon de John se mélange à la guitare de Lou dans de longues impros hypnotiques qui nous transportent loin, si loin. Une version lente de Venus in Furs fera date, on peut encore l'entendre dans l'album MCMXCIII, enregistré la même année à l'Olympia.
2003, Zurich, Lou Reed fait une tournée mondiale dont sortira un double album nommé Animal Serenade, petit clin d'oeil au fameux Rock'n'Roll Animal des années 70. Le clin d'oeil est justifié, le vieux crocodile du Rock est apaisé, pratique le Tai-Chi, aimable et nous sert des versions toujours plus torturées de ses titres, accompagné de l'étrange Antony à la si suave voix aux choeurs, le chanteur d'Antony and the Johnsons et d'une violoncelliste qui nous sert quelques impros déchirées, dont une qui sublime "Venus in furs" un titre déjà mentionné, inspiré du roman éponyme de Sacher-Masoch.
Été 2003, petit concert dans les arènes romaines d'Avenches, décevant, peut-être le plus mauvais que j'ai vu. Nina Hagen qui le remplacera sur la même scène laissera un meilleur souvenir.
2008, Lou fait une tournée consacrée à son album mythique Berlin. Cet album concept, enregistré en 1973 n'avait presque jamais été joué live. Le déplacement à Zurich ne fut pas du temps perdu. Lou a engagé un petit orchestre classique et un choeur d'enfant dont les voix pures, mêlés aux guitares dures, et aux violons contrastent sublimement avec les thèmes de l'album. "The Kids" en particulier qui raconte l'histoire d'une mère junckie à qui on a retiré ses enfants et qui se termine par un déluge de larmes et de choeurs touche au sublime. Sad Song également, qui débute par un choeur fait partie des titres qui élèvent le Rock'n'Roll à un niveau jamais atteint. Lou nous fait naviguer dans d'insoupçonnées hauteur avant de nous plaquer au sol, tutoyer les anges avant de nous laisser brutalement retomber d'un riff cruel dans la fange la plus nauséabonde.
Ce sera la dernière fois que je le verrai en concert, mais depuis cette folle nuit de débauche de 1989 durant laquelle un ami m'a donné le CD de Berlin, j'ai du écouter cet album bimensuellement et ses chansons ont continué de m'accompagner et continueront.
Octobre 2013, Cuzco, Pérou. Ma vie balance, oscille, vrille et j'ai envie de musique. Mon baladeur pomocustomisé ayant rendu l'âme dans l'avion qui me livrait sur ce continent nouveau pour moi, je suis en manque. Dans ce petit hôtel, le wifi est bon et grâce à YouTube, j'écoute Vanishing Act : "It must be nice to disapear, to have a vanishing act..."
Octobre 2013, Porto, Portugal, sur la route du retour, au bord de la plage je regarde le soleil se coucher en savourant un maté, oscillante, ma vie réclame encore de la musique. Vanishing Act encore une fois : "It must be nice to dis..."
À ce moment, mon frangin, qui partage une bonne partie de mes goûts musicaux m'envoie un sms laconique : "Il semblerait que Lou Reed soit parti en tournée dans l'au-delà..."
Par Epytafe - 21-10-2013 16:31:14 - 6 commentaires
Je finis mon thé, me reverse un maté, j’ai encore un peu de temps. Le maté soulage un peu ma légère gueule de bois, souvenir de la petite fiesta improvisée hier au soir, sur ce même toit où je me trouve. Petite fiesta improvisée, certes, mais quasi-quotidienne. Ce bouge de La Paz mène le bal tous les soirs ou presque. Une bande d’Argentins a investi les lieux, hier soir ils carburaient au Fernet-Coca, un mélange qui, outre son goût un peu dégueu, s’avère redoutable.
Je buvais un thé sur ce toit lorsque je me suis retrouvé entouré d’Argentins (ou plutôt d’Argentines, un ratio de 4 : 1) et tout naturellement inclus dans la fiesta, malgré les difficultés que j’ai à comprendre leur espagnol plutôt rocailleux. De plus, la plaza San-Francisco, toute proche abritait une immense teuf avec fanfares et concerts, le tout régulièrement couvert par les pétards et les feux d’artifices sans lesquels on ne conçoit pas une fête sur ce continent fou.
Sept heure dix, je vide une dernière gourde de maté, la nettoie et quitte définitivement le toit de l’hôtel. Cette ville va me manquer, j’y laisse un appareil de photo, deux objectifs, un ordinateur, un téléphone portable et plus de 300 dollars US qu’on m’a dérobé dans des conditions peu agréables. Mais malgré que je m’y sois fais volé à deux reprises, je laisse dans cette ville quantités d’amis, de bons moments, d’interminables discussions, de sentiments forts et partagés, bref, cette ville me manque déjà. Sept soirées passées sur le toit de cette ruine d’hôtel dont les conditions de conforts des plus précaires cachent à l’œil non-initié une réserve de chaleur humaine peu commune, sept soirés créent des liens.
Mon sac sur le dos, les clefs rendues, je sors. La gare routière est à 20 minutes à pied environ, peut-être un peu plus vu l’altitude et la pollution.
Dimanche matin, sept heure quinze. Les rues proches de l’hostel, habituellement animées sont désertes, boutiques de souvenirs, un luthier, et surtout les tiendas esotericas, boutiques de sorcières qui recèlent quantités de potions ainsi que des fœtus de lamas séchés censés porter chance si on en enterre sous chaque nouvelle construction, tiendas esotericas dont les vendeuses, coiffées du chapeau melon bolivien, jettent des regards peu amènes au gringo qui s’intéresse de trop près à leur commerce.
Désertes les rues ? Pas longtemps. Le premier virage passé me dévoile quatre cadavres plus ou moins entassés les uns sur les autres, un d'eux bouge encore et tend la main à la recherche de sa bouteille de coca qui doit probablement contenir également d’autres ingrédients. Plus loin, c’est dantesque. Pommettes éclatés, dents cassés, bouches qui saignent, je crois même voir un œil crevé, fantômes titubant pour les moins amochés. Sur les bancs sont entassés d’autres fêtards ensanglantés qui, à voir leurs étreintes inconscientes, semblent s’être réconciliés. Le sol est jonché de brique de verre, de flaques aux couleurs indéfinissables mais dont la couleur laisse deviner le contenu, d’étrons aussi. La fête semble avoir été bonne, très bonne. Indifférents, une équipe d’ouvriers achève le démontage de la scène.
Le trafic est déjà infernal, les bus lâchent d’immenses trainées de gaz noires et denses qui envahissent toute la rue. Sept heure vingt, je viens de boire une bouteille d’eau et un demi-litre de maté, mais déjà ma bouche et mon nez sont secs. Sur l’étroit trottoir, de grosses boliviennes ouvrent leurs étals, d’un demi mètre carré chaque, sur lequel elles préparent des repas à emporter sur de minuscules réchauds à alcool, gaz ou à essence. Patates frites, abats grillés, bananes frites ou Francforts (une vague d’immigration allemande au milieu du XXème siècle à quelque peu modifié les habitudes alimentaires locales…)
A côté de ces étales, posés à même le sol, un carton fatigué dans lequel, emmitouflé dans un poncho sale, un bébé, le nez à ras les gaz des camions, tétant goulument un biberon qui contient une boisson beaucoup trop sucrée qui finira invariablement par le rendre obèse, apprend seul à vivre pendant que sa mère se bat pour la pitance, trop sucrée du lendemain. Pendant que sa mère se bat pour des lendemains qui ne chanteront pas.
La Paz, bientôt sept heure trente, je regrette vraiment mon appareil de photo, et déjà, cette ville me manque.
Par Epytafe - 09-02-2012 10:33:38 - 5 commentaires
31 août
3 ou 4 saunas, une énorme platée de renne, quelques bières locales plutôt bonnes, une très bonne nuit de sommeil (seul dans un minuscule dortoir, quel luxe !) et un petit dèj’ compris dans le prix un peu prohibitif du refuge de Saltaluokta. On cumule le tout et voilà un départ tardif, très tardif. Ce repos m’a fait du bien et je me décide à le prolonger encore un peu en visant Sitojaure, prochain refuge distant de 20 kilomètres seulement. Mathias continue avec moi, on quitte par contre Martin, qui termine ici son périple. Ce grand viking termine sa toute première rando. Ce prof de yoga en rupture avait décidé de célébrer ses 40 ans en marchant après avoir quitté Stockholm et vendu son appartement. Les réseaux sociaux nous vendent la fausse promesse de "garder le contact" puis on se quitte.
Cette journée est magnifique et reposante. Le ciel est presque bleu et le haut-plateau du jour est plutôt une sorte de très vieille vallée, plate, nichée entre deux chaines de montagnes pelées. Ce paysage sauvage et perdu me rappelle les mythes nordiques lus quelques années auparavant, Odin et Thor avec son terrible marteau, Loki et quantité d’autres dieux. Soudainement, ces histoires me semblent totalement évidentes dans un tel environnement. Je pense aussi à Jérôme, le guitariste de Mumakil qui m’avait dit, peu avant le passage en l’an 2000, vouloir passer nouvel an en pleine forêt avec quelques amis à boire de la bière et à hurler des "mantras vikings".
La journée se passe tranquillement, Mathias et moi causant parfois, sans trop de barrières, avec ce relâchement que permet l’épreuve partagée, la solitude et l’assurance inconsciente de ne plus se revoir ensuite. Je ne peux pas m’empêcher de me mettre en scène pour un autoportrait des plus kitsch qui fait marrer mon compagnon de route.
Peu à peu, le ciel se couvre, les infos météos grappillées dans les refuges ne sont pas bonnes et je profite des derniers rayons du soleil pour me faire un thé en plein nulle part. J’en profite à fond, sachant que dans une heure je serai sous la pluie. Je m’attendais à une petite bruine mais c’est une grosse et longue averse qui nous tombe dessus. Alors on se renferme, pantalon de plastique, veste en goretex, capuchons, épaules rentrées silence imposé et on avance. La lumière est magnifique, ciel noir, sol vert très foncé et bande de lumière à l’horizon. Thor et son marteau n’est jamais très loin par ici. Je tente de rendre le truc avec mon Ixus, mais le résultat est assez moyen.
Finalement le refuge, à côté d’un lac. La lumière est toujours magique. On est accueilli par l’épouse du gardien, petite femme super énergique à l’ironie féroce et un peu salace. Ça surprend un peu après une journée de grands espaces. Alors qu’elle nous guide jusqu’au refuge, je vois d’un œil son mari qui prends son bain dans le lac et s’y lave… La pluie m’a refroidi, ce soir ma toilette sera sommaire vu que le refuge est dépourvu de sauna.
La cabane est remplie de Finlandais, accompagnés d’un guide suédois, qui reviennent d’une ascension du Skierfe. Ce rocher abrupt marque l’entrée de la Vallée de Rapa, un des points d’entrée du parc national du Sarek, immense amalgame de glaciers et de montagnes. Grimper le Skierfe, c’est avoir un point de vue sur cette fameuse Vallée. Elle est réputée en Suède car c’est là qu’on trouve les plus gros élans. Elle est également sacrée pour les Samis et c’est un des rares endroits du pays interdit au camping sauvage. Grimper le Skierfe, c’est l’occasion d’admirer le sublime delta de la rivière Rapa. D’un autre côté, le sommet est très souvent dans les nuages et je me vois mal passer 3 jours dans un refuge pour attendre une éventuelle occasion d’une ascension d’une demi-journée. J’hésite et je ne me déciderai qu’au pied de la montagne, demain.
Mes compagnons de refuge ne semblent pas tellement habitués à la marche, ils ont des tonnes de nourritures dans leurs sacs alors qu’ils terminent leur marche le lendemain. Un type a même apporté ses bières, il picole tout seul, est un peu bourré et vient me provoquer en m’affirmant tout fier que lui, lui il boit de la bière. Je ne relève pas mais l’ambiance dans ce refuge est bizarre. Je finis tout de même par m’énerver un peu quand le type balance sa boite de bibine écrasée par la fenêtre. Je lui explique que c’est un con, il se relève et va chercher sa boite mais l’ambiance est lourde et je me demande quelques instants si je vais devoir me coltiner tout le groupe. Mais je verrai le lendemain matin que mon geste a été plutôt apprécié.
Par Epytafe - 02-02-2012 00:15:09 - 8 commentaires
30 août
Le refuge de Teusajaure était assez plein durant la nuit. J’ai mal dormi, la fenêtre que j’avais ouverte a été refermée par un de mes compagnons de chambrée qui ne supportait pas le très long crépuscule qu’est la nuit en ces latitudes. J’allume donc ma frontale et lit une bonne partie de la nuit. La veille le papy qui tient le refuge nous a proposé de nous emmener en bateau à moteur de l’autre côté du lac moyennant quelques couronnes. J’ai accepté en me disant que j’aurai bien assez l’occasion de ramer plus tard, d’autant plus que le lac est large, plusieurs kilomètres et que j’ai repéré que nous sommes du côté à 1 bateau, ce qui signifie qu’il faudrait traverser 3 fois le lac.
On se serre donc, 4 sur une barque équipée d’un moteur surpuissant. La sensation de vitesse est grisante et le bruit du moteur un peu énervant. En quelques minutes nous sommes de l’autre côté, prêt à partir. Parmi les occupants de cette barque, Mari, une suédoise qui s’éloigne ostensiblement en nous souhaitant une bonne journée. Mathias, un allemand de Freiburg de 35 ans et Martin, qui vient de fêter ses 40 ans sur le sommet du Knebekaise. J’apprécie de marcher en leur compagnie malgré mon gout pour la solitude. Il faut dire que la partie Nord du Kungsleden se termine bientôt et qu’après, il y a des fortes chances pour que je sois seul, très seul.
Le programme de la journée est cool, 16 kilomètres jusqu’à Vakkotavare, puis, attendre le bus, 35 kilomètres jusqu’à Kebnats et un ferry jusqu’à Saltoluokta. C’est donc presque une journée de repos, bienvenue par ailleurs, qui m’attend. L’habituelle montée-haut-plateau-descente se passe dans une espèce de douce harmonie. Mes compagnons de voyages sont sympathiques et intéressants, il fait suffisamment chaud et beau (oui, c’est une contrepèterie belge) pour pouvoir marcher en T-shirt et on se paie le luxe d’une longue pause dans les herbettes, près d’une rivière qui me fournit l’eau nécessaire à quelques thés.
On sent qu’on se rapproche du monde moderne, on va devoir monter dans un autocar et l’idée ne réjouit personne. J’allume mon portable et je reçois quantité de sms en attente depuis 6 jours. Lors de ce long farniente, j’apprends après tout le monde par l’ami Shunga que Jihem a bouclé l’UTMB. Je lui tire mentalement mon chapeau et fête l’événement avec une longue gorgée d’Assam vert (de culture biologique parait-il).
On entame une rude descente et on voit les premières lignes à haute-tensions, puis plus tard, la route. Le bruit de voiture ne nous dérange pas, il n’y a presque pas de circulation sur cette route. Le refuge de Vakkatore nous accueille, on fait le plein de saucissons suédois et de cookies divers puis on s’installe sur la terrasse. 4 marcheurs sont là et ils comparent leurs matos. Ils sont tous équipés de téléphones satellites, et ils marchent ensemble. Je me retiens de sourire, ils perdent à mon avis une bonne partie de la joie pure de la solitude. Tant pis pour eux.
L’autocar finit par arriver, on monte et on se tape 35 kilomètres avec 30 minutes de pause en plein milieu de course, le rythme lent perdure, cool. J’en profite pour boire un café, le goût du p’tit noir me manquait un peu. Puis un bac et on arrive à Saltoluokta, sorte de camp scout retranché. Une dizaine de baraquements, un resto, une boutique et un immense sauna vitré avec vue sur le lac, un vrai délice. Depuis le sauna, j’aurai d’ailleurs le plaisir d’observer un papy qui se cache dans les bosquets de bouleau et qui regarde sur ma gauche. Je suppose (je vérifierai en sortant) que sur ma gauche se situe le sauna des femmes, la légendaire indifférence nordique en prend un coup. Ensuite, resto avec Martin le suédois, je goute du renne pour la deuxième fois et j’apprécie autant cette bestiole sur pattes qu’émincée.
Par Epytafe - 24-12-2011 23:22:15 - 6 commentaires
J’ai jamais tellement aimé le catéchisme… Pas que je sois contre un minimum de culture religieuse, au contraire celle-ci est une absolue nécessité pour aborder la culture, européenne tout au moins, et il en va de même pour la géopolitique… Mais ce qu’on a tenté de m’inculquer durant le cathé, c’est plutôt une optique de vie qu’une culture, et ça, j’aimais pas des masses… Mais, en cette nuit de Noël, mon but n’est pas de lancer une polémique(Victor) de plus, alors passons là.
Une bonne chose que m’a apporté le cathé, c’est un voyage d’une semaine dans le Shropshire, UK. Ce comté du Nord de l’Angleterre a abrité la révolution industrielle, révolution durant laquelle un type né dans mon bled a fini tout là-haut comme pasteur-ouvrier. Et c’est pour célébrer le tri (ou bi ?)centenaire de ce héros, passé et oublié de tous que la perfide Albion a officiellement invité 10 p’tits Suisses a aller visiter mines et fonderies.
Outre le fait de me permettre de visiter quelques bleds où strictement personne de censé n’irait en vacances (pour vous dire, je dormais dans une famille à Madeley, où a grandi ce brave Lemmy, mais là, je dis verge). Donc, en plus de l’indéniable exotisme il y avait un autre avantage à ce voyage. Par soucis de conformisme et d’éloignement à la doctrine de Bossuet (c’est lui qui affirmait que la femme est le produit d’un os surnuméraire), les pastoraux organisateurs avaient décidés de diviser les 10 petits Suisses en 5 représentants de chaque sexe recouvrant ainsi l’aspect culturello-religieux de ce périple par une épaisse couche de saine et féroce concurrence hormonale.
Un soir où l’on trainait dans les rues de Madeley, l’un de nous eut une excellente idée : Pourquoi ne pas aller jouer au mouchoir dans le cimetière tout proche ? Ce magnifique plan présentait 2 sérieux avantages : Les filles auraient forcément peur et on pourrait les rassurer et le mouchoir est un jeu qui peut vite s’avérer intéressant pour peu qu’on laisse nos mains s’égarer et s'aventurer.
Le jeu battait son plein lorsqu’une voiture est arrivée. 3 types en rangers, bombers vertes et cranes rasés en sont sortis. Ils portaient des battes de base-ball et ils ont débuté un étrange ballet qui consistait à lancer sa batte en direction de son voisin de droite, lequel se devait de la récupérer d’un coup de boule, une manière de s’endurcir tout en se décérébrant encore un peu plus ?
Peu à peu, notre partie de mouchoir a ralenti, fascinés que nous étions par le jeu de nos voisins de cimetière. Evidemment, on trouvait ça un peu con, mais il nous a fallut quelques minutes pour oser rigoler ouvertement. Et tout s’est accéléré. Les trois skins ont chacun récupéré leur batte et se sont mis à courir dans notre direction. Nous nous sommes tous levés et dispersés dans ce qui fut probablement le plus rapide sprint de notre vie…. Les cranes rasés n’ont rattrapé ni blessé personne.
Sauf le plus important : notre orgueil de mâles.
Nos copines se sont foutus de nous durant des mois…..
Par Epytafe - 11-09-2011 16:35:37 - 9 commentaires
27 août
Dans mon sac, il y a : une tente, un pantalon de rechange, 2 t-shirts, un sac de couchage, 2 paires de chaussettes, un pantalon et une veste imperméable, une doudoune de grimpeur (légère, 700 grammes), un réchaud à gaz avec une cartouche de réserve, 300 grammes de thé vert, un couteau (suisse), une frontale, 3 bouquins 3 cartes, un Diana, 2 litres d’eau, 5 repas lyophilisés, un GPS et un nécessaire à Macha ceci additionné au poids du sac pour un total de 17 kilos.
Le lendemain, je repars tôt. Tôt est plutôt relatif, 08h00… Mais je remarque à quelques grognements énervés que mes préparatifs dérangent mes colocataires d’une nuit. Il faut aussi préciser que les fenêtres sans rideaux ont laissé poindre une belle lueur durant toute la nuit et que mon passage aux wc vers 2 heures du mat’ ne nécessitera pas l’aide d’une frontale. Ce n’est plus le soleil de minuit, certes, mais je ne verrais aucune étoile durant mon périple, les nuits sont encore bien trop claires. Nul besoin donc d’être matinal.
Dans le train pour Abisko, j’ai eu l’occasion de tailler le bout d’gras avec un papy de Stockholm qui vient chaque année passer ses vacances dans le grand Nord depuis 40 ans. Et il m’a conseillé de quitter le Kungsleden à partir d’Allesjaure (où je suis) pour m’offrir un petit détour de deux jours via la vallée de Vistas. J’ai un peu hésité à suivre son conseil, ayant un peu peur de trop m’éparpiller si j’écoute le premier grand-père venu. D’un autre côté, il m’a dit que la vallée de Vistas était gangrénée d’ours et d’élans et que l’humain y était vraiment très très rare…. Or hier, j’ai au minimum croisé 20 personnes et si j’ai choisi le Kungsleden pour mes vacances au lieu du GR5, c’est entre autre pour donner libre cours à ma sauvagerie naturelle !
En quittant le refuge ce matin, je remarque que 08h00 est réellement tôt en Suède, je suis le premier à partir. Je suis le Kungsleden sur 300 mètres puis, d’un pas décidé comme seuls les majorettes et les Suisses romands en voie d’égarement scandinaves savent les faire, je quitte le Kungsleden pour 2 jours !
Le sentier que je suis repart en arrière pour longer le lac mais de l’autre côté et traverse un hameau fantôme, Alisjávri. Il me faut traverser une dizaine de ruisseaux plus ou moins larges, j’apprendrai plus tard que le gué est un vrai sport national par là-haut, non sans risques d’ailleurs. Alisjávri (aller trouver le á sur un clavier….. Quelle langue….) est un assemblage d’une trentaine de maisons rouges pour la plupart, réparties sur le bord du lac, aucunes routes n’y mène et le seul véhicule que j’y verrai est une sorte de mini machins militaires, je sais, c’est pas clair, disons que ça fonctionne à chenilles. J’y verrai également quelques huttes sámi traditionnelles. Pour en avoir vu en divers états de décomposition, je peux vous dire qu’elles sont constituées d’une charpente grossière sur laquelle est étalée de longues bandes d’écorces de boulot retournées. Ensuite, de la terre est amassée sur ces bandes (je ne sais par contre absolument pas si celle-ci est mélangée à un liant quelconque). Au fur et à mesures des années, elles se fondent parfaitement dans le paysage vu que de la végétation fini par y pousser. Seules une minuscule fenêtre et une cheminée la trahissent.
Après un tour et demi du fantôme-bled, je finis par dénicher un bout de trace qui fait vaguement penser à un sentier et le suis. Le parcours est fidèle aux traditions locales ! ça grimpe le long de la vallée, traverse un haut-plateau, très court cette fois avant de redescendre. Ce qui change ici, c’est qu’au lieu de la brutale descente traditionnelle, celle-ci est longue et douce, le long d’une immense vallée dans laquelle pousse une forêt de bouleux, c’est magnifique et désolé, d’autant plus que je suis absolument seul. Parfois, je me demande vaguement quelle réaction je devrai avoir quand je croiserai mon premier ours… ? Le saluer poliment ? Devrai-je enlever mon chapeau histoire de faire preuve d’un respect suffisant où pourrai-je le tutoyer ? Et s’il est agressif, j’ai lu qu’il fallait lui laisser quelque chose à manger et s’en aller doucement à reculons… Mais est-ce qu’un ours aimera un sac en alu contenant de l’aligot lyophilisé ?
L’étape de ce jour ne fait que 18 kilomètres, alors je musarde un peu, prend le temps de quelques pauses thé et fait de fréquents arrêts pour jouir du paysage fantastique. Ce massif montagneux est le plus vieux d’Europe, plus de 600 millions d’années et si les locaux affirment que les plus hauts sommets y dépassaient allégrement le noble Everest, il y a fort longtemps et les courbes y sont maintenant tout en douceur.
Je ne veux pas doubler les étapes aujourd’hui, la suivant fait 19 kilomètres, ce qui ferait un totale de 37 et elle m’a été annoncée comme dangereuse par le papy du train, et je nourris pour la montagne qui me reste largement inconnu un respect légèrement craintif qui me pousse à rester prudent. À 15 heures, l’affaire est bouclée et j’arrive au refuge de Vistas sans avoir vu le moindre ours ni élan. Ce refuge est tenu par un couple absolument charmant et intarissable sur la région. Cool, je vais rentrer avec dans la tête 12'000 projets de rando nordiques !
Comme dernière vue, la spacieuse salle de bains du refuge de Vistas.....!
Par Epytafe - 09-09-2011 15:19:41 - 7 commentaires
Abisko, 25 août,
Le train me dépose, fourbu. Abisko c’est le bout du monde, 23h30 de voyage prévus, mais je dépasse les 25h. Abisko c’est le bout du monde, une gare, un lac et trois baraques. Lancé en 1907 pour rentabiliser un peu plus la nouvelle North Iron Line, qui livre les minerais extraits à Kiruna au port de Narvik, tout en surfant sur l’engouement populaires pour la culture sámi, Abisko connaît un semblant de fréquentation surtout grâce aux allumés qui se lancent sur le Kungsleden. C’est aussi un point d’accès pour tenter l’ascension du Kebnekaise, le plus haut sommet de Suède (environ 2100 mètres, mais ça décroit). 2 à 4 jours de marche d’approche avant l’ascension puis un jour après pour rejoindre Nikkaluokta d’où un bus te ramène à une gare routière dans laquelle tu trouveras un bus susceptible de te ramener vers un semblant de civilisation, pas simple le Nord.
Une fois à Abisko, t’as le choix entre chercher un lit dans un des baraquements ou partir immédiatement pour Abiskojaure, première étape à 13 kilomètres. Je choisis l’option baraquement. Parce que je dois m’équiper en gaz et parce que je suis vanné par mes 25h de voyage.
Tous les baraquements le long du Kungsleden, et loin aux alentours également sont tenus par la STF, la fédération suédoise du tourisme, cette même fédération est également à la base de la création du Kungsleden, en 1874 si ma mémoire est bonne. Comme en Scandinavie tout passe par des cartes de membres, on me déleste de 290 SEK et me voilà estampillé membre actif. Comme chaque nuit coute 100 SEK plus chers aux non membres, le calcul est vite fait. De plus j’aurai à de nombreuses reprises l’occasion d’apprécier l’incroyable travail de cette fédération sur cette route. La partie nord du Kungsleden est en effet extrêmement bien entretenue, après ça se gâte un peu.
Je profite de mon passage dans la Butik du coin pour remplir mon sac de délices déshydratés tels que Chilli con Carne (qui sera du Nasi Goreng) et poulet au curry. Ça complètera agréablement l’aligot en poudre. Ensuite, un sauna et quelques heures de sommeil avant le grand départ.
26 août.
Après le traditionnel pesage de sac, me voilà parti. Un portail marque le début du Kungsleden, et j’arpente une forêt de bouleaux pendant une quinzaine de kilomètres, longeant un torrent furieux dont j’apprécie le chant. Après quelques kilomètres, un traileur me dépasse. Nous discutons 2 minutes et il me raconte qu’il va à Salka, soit à 60 kilomètres, sont équipement pèse 4 kilos, j’ai l’air fin moi avec mes 17 kilos (dont 2 litres d’eau…).
L’eau, c’est un truc qui ne cessera pas de me réjouir, il y en a partout, et il suffit de se baisser pour remplir sa gourde, sa poche à eau ou sa casserole. Un truc de fou, elle est totalement transparente et apparemment potable. Moi qui doit prévoir une boîte d’immodium dès que je me rends au Luxembourg, Je n’aurai pas le moindre problème avec ma si sensible tripaille.
Le chemin est relativement bien marqué, surtout sur les 5 premières étapes, les plus fréquentées, mais une carte n’est pas de trop car les sentiers sont relativement nombreux et on se perd vite.
Très vite, je foule ce qui est l’image même du Kungsleden aussitôt qu’on se prend à googliser ce nom barbare, un monotrace qui part à l’infini dans le grand désert du Nord, monotrace constitué de deux planches parallèles. Effectivement, la STF fait un travail de fou, dans cette partie nord, le moindre morceau de terre humide est couvert de deux planches qui permettent d’économiser nos souliers et accessoirement de protéger le biotope.
Après 13 bornes, j’arrive à Abiskojaure, le premier refuge est situé à côté d’un lac, c’est bucolique mais 3 heures de marche ne me suffisent pas, je me décide immédiatement à continuer jusqu’à l’étape suivante, Alesjaure à 22 kilomètres. Le sentier grimpe une vallée entre deux montagnes, je profite d’une rivière pour un arrêt macha, puis traverse un magnifique haut-plateau, au loin, un camp sámi qui a l’air désert. Après une dizaine de kilomètres, le sentier redescend et longe un lac. Un panneau propose aux marcheurs de les emmener au refuge sur les 5 derniers kilomètres, beaucoup acceptent, fatigués par les 30 bornes dans les pattes, pas moi je ne suis pas venu ici pour la plaisance, non mais !!! Il commence à pleuvoir et je presse le pas. J’arrive au refuge d’Allesjaure 30 secondes avant le début des vraies festivités, ce jour là, je serai chanceux….
Le terme haut-plateau peut paraître quelque peu abusif pour qui s’intéresse un peu au Népal, Tibet ou autre Ethiopie. Mais au Nord du cercle polaire, plus rien ne pousse au-delà de 600 mètres d’altitude à part quelques herbettes. C’est donc presque le profile traditionnel d’une journée de marche sur le Kungsleden. Tu grimpes, vers 600 mètres d’altitude, tu sors de la forêt, puis vers 1000 mètres, tu traverses un haut-plateau avant de redescendre.
Le refuge est assez grand et bien aménagé. Comme dans 90% des refuges le long de cette voie, il n’y a pas d’électricité. L’éclairage se fait donc à la bougie ou parfois aux becs à gaz. L’ambiance devient vite très particulière, la pénombre due aux minuscules fenêtres éclairées par quelques bougies donne une teinte très particulière à ces refuges.
J’ai de la chance, il y a un sauna. Celui-ci est situé en dessous du refuge, une petite cabane en bois, 2 pièces. Dans la première, quelques sauts d’eau glacée puisée directement à la rivière que l’on voit sortir du glacier, à 500 mètres du refuge. Puis le sauna proprement dit, chauffé au feu de bois de boulot, la température n’y est pas très élevée, environ 70°. Les Suédois y restent plutôt longtemps, ils s’y rendent avec une ou deux bières et se relaxent en rigolant. Généralement, le sauna est réservé aux femmes pendant 90 minutes, ensuite aux hommes pendant le même laps de temps puis devient mixte.
Je me plie, curieux, aux traditions locales. Je reste donc 20 minutes dans le sauna à transpirer, puis sort sur la terrasse de la baraque, à poil, sous la pluie glaciale, il doit faire 5°… Ensuite, je retourne suer un moment avant de faire le grand saut. Plonger dans la rivière qui provient tout droit du glacier… L’effet est garanti, le froid coupe le souffle quelques secondes avant que le corps ressorte la chaleur emmagasinée dans l’étuve. L’expérience est fantastique, je trouve un coin pas trop profond et m’assied quelques minutes dans l’eau pour admirer un arc en ciel. Les courbatures du jour seront très vite oubliées avec un tel traitement. Comme je prends un vrai plaisir à ce traitement, je traine un peu et quelques filles arrivent. Le rapport des locaux à la pudeur n’est pas une légende, on est une dizaine, une bière à la main, dans le sauna, dehors sous la pluie ou dans la rivière à déconner….
Par Epytafe - 08-09-2011 01:56:51 - 6 commentaires
Parfois, le confort, ça se résume à pouvoir aller pisser sans avoir à remettre 2 couches d’habits trempés et puants, sans avoir à patauger dans la boue.
J’avance doucement dans ces marais. C’est mon 11ème et dernier jour le long de ce trek, j’ai pas mal poussé la machine ces derniers jours, et depuis hier, un tambourinement inhabituel dans la poitrine me le rappelle douloureusement. Continuer serait tout au moins contre-productif pour ne pas dire un peu con… Surtout que les hôpitaux par ici… C’est pas qu’ils sont mauvais, c’est juste qu’ils sont loin, très loin. La boue colle aux chaussures, et parfois, un trou plus profond avale ma jambe jusqu’à mi-mollet. Pour un peu que l’autre jambe suive et après c’est toute une histoire pour s’en dépêtrer. Sans compter que les pompes se remplissent d’eau et que par 68° de latitude Nord, l’eau n’est pas bien chaude. C’est pas vraiment le froid le problème, ou plutôt si, le problème c’est le froid humide que tu traines sur plusieurs jours. Remettre les paturons dans des chaussettes mouillées et glacées avant d’enfiler des chaussures glacées et mouillées, parfois ça rend le début de journée un peu difficile. C’est surtout en descente que tu le ressens. Quand ta foulée devrait être souple pour amortir le poids de ta carcasse additionnée au poids du sac à dos que tu réalises les conséquences du froid. Quand tu buttes les orteils contre un caillou aussi d’ailleurs... Les jambes sont raides et c’est le dos qui ramasse et tu te prends à penser à un lumbago, qui te mettrais vraiment dans la merde…. Parce que si dans le Nord tu croises régulièrement des randonneurs de toutes sortes, dans le sud du Kungsleden, in n’y a virtuellement personne. Pas un seul être humain en trois jours, si, une tente, vue de loin. Ils te disent qu’en Suède, il y a 2,5 habitants par kilomètres carrés, et le Norrland, c’est plutôt la partie qui tire la moyenne vers le bas, alors ils ont pas non plus cru bon d’installer des relais pour la téléphonie mobile.
En fait c’est ça qui est marrant ici, c’est cette sensation de ne pouvoir compter que sur toi. C’est toujours le cas en fait, dans la vraie vie, mais il y a différentes formes d’illusions qui t’aident à ne pas trop y penser. Mais peut-être qu’après six mois de Kungsleden on ne s’en rend plus compte ?
Dans une heure je devrais arriver au détroit, là il me faudra ramer pour le traverser, une fois si j’ai de la chance et que les deux barques sont de mon côté, trois fois si il n’y a qu’une barque de mon côté. Ensuite, encore 6 ou 7 kilomètres de boue et je serai à Jäkkvik. Parce qu’ici, il y a 3 barques pour traverser les lacs ou les rivières, et tu t’arranges pour qu’il reste toujours au moins une barque de chaque côté. C’est intelligent comme système, et ça repose sur une belle confiance…
Par Epytafe - 03-06-2011 04:05:24 - 6 commentaires
Un truc marrant au Japon, c’est la quantité de sollicitations sonores auxquelles nous sommes constamment soumis. Ici, tout parle. Les escaliers roulants vous avertissent au minimum des dangers encourus à les emprunter quand ils ne vous racontent pas en prime les beautés du supermarché dans lequel vous êtes entrés. Les ascenseurs font de même, les voitures vous disent bonjour quand vous mettez le contact et si vous passez par erreur trop prêt d’une caisse automatique de parking, vous allez sursauter quand elle vous demandera d’un ton autoritaire d’enfiler votre ticket. Sans compter les voitures de police et les ambulances toutes munies de puissants haut-parleurs. J’ai eu la chance d’habiter trois mois juste à côté d’un hôpital et j’ai entendu toutes les nuits les classiques sirènes entrecoupées de bruyant et péremptoires, bien qu’incompréhensibles, propos.
En plus de ce déluge continuel d’information qui parfois atteint des sommets de mauvais goût, quelques jardins zen de temples Kyotoïtes diffusent des informations qui gâchent quelque peu la nature profonde du lieu, au Japon, la diffusion de musique est omniprésente et parfois assez difficilement supportable. Je vous rappelle, par exemple, que Richard Claydermann est autant célèbre qu’aimé dans ce pays.
Non seulement les supermarchés, extrêmement nombreux ici, mais les parkings, les gares, les trains, les aéroports et même les salles de consultations des hôpitaux diffusent cette pop acidulée et terriblement douçâtre en continu. En mars, on entendait partout une reprise, en français du malheureusement immortel tube de France Gall, poupée de cire, poupée de son. L’original est à la base un peu pénible, mais repris avec un déluge d’électronique sucrée c’est inaudible. Si vous voulez une démo, essayer de youtuber AKB48....
Il y a ici une dualité difficile à comprendre pour un étranger de passage. La fréquentation régulière de Nara et Kyoto, dont la sublime harmonie des temples, sanctuaires et jardins m’a tant ébloui, additionné au plaisir intense ressenti à chacun des repas pris ici, que ce soit un bœuf de Kobé dans un grand restaurant ou un plat de nouille dans un bouiboui donne une image, selon moi justifiée, d’une recherche permanente de perfection absolue qui atteint peut-être son apogée dans la cérémonie du thé, rituel pluri-centenaire codifié dans ses moindres détails. Et, pour peu qu’on ne soit pas sourd on ajoute là-dessus une soupe insipide et continuelle qui rend encore plus étrange ce pays pour le visiteur.
Parfois pourtant, tout s’inverse et, pour quelques secondes on peut toucher le sublime du doigt, atteindre un état de grâce, tutoyer les anges. Fin mars, je pars courir, tôt le matin. Le soleil est là, il illumine le bord de mer et je m’offre une belle sortie. En voulant rentrer, je me trompe d’escaliers et me retrouve sous l’échangeur autoroutier. Pensant trouver un passage, je continue au milieu de multiples piliers de béton, barrières et terrains vagues lorsque j’entends de la musique. Je reconnais les feuilles mortes, pour être plus précis, une impro jazzy sur le thème des feuilles mortes. Intrigué, je continue dans la direction de la musique et j’arrive près d’un type, en costard qui joue du saxo pour les détritus et les piliers de béton, totalement seul, à sept heures du matin. Je m’arrête pour profiter de la beauté de l’instant mais quand le type me voit, il manifeste un évident mécontentement et interrompt sa mélodie. Alors je repars chercher ma route. Je le réentendrai quelques minutes plus tard, de l’autre côté d’une barrière.
Visiter un magasin de kimono est assez instructif. Les prix totalement prohibitifs m’ont ôté toutes envies de me recycler en geishas, mais il y a une logique dans le kimono qui peut sembler étrange à un européen. En Europe, si on apprécie une forme de beauté, on l’expose. Au Japon, on la cache. Les kimonos les plus beaux le sont de l’intérieur, les plus belles pièces de tissus sont contre la peau et les plus quelconques sont exposées. On peut même voir dans certains musés des kimonos anciens avec des scènes brodées mais à l’intérieur de l’habit.
Je ne suis pas sûr que cette tendance nippone de cacher l’essentiel de l’habillement ait quelque chose à voir avec cette attitude de ne jouer de la musique que caché, mais j’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir, ou plutôt d’entendre, au gré de mes sorties càp, des musiciens talentueux qui jouaient seul. Une nuit de pleine lune, un gars jouait de la trompette sur la plage, loin de tout et de tous, il jouait du jazz aussi.
Le plus surprenant était peut-être un jeune type qui, je l’ai vu à deux reprises, arrivait avec une petite camionnette, déchargeait une table, deux platines, une tables de mixage, quelques amplis, deux immense baffles et mixait une techno plutôt énergique un moment pour lui seul, et les mouettes... Il faisait un bruit énorme, déplacer sont matos seul représentait un boulot conséquent mais je n’ai jamais vu qui que ce soit écouter, ou danser sur sa musique.
Un jour, je suis allé à Sakaï, village perdu du Kansaï dans lequel est né Sen-no Rikyu LE maître du thé, celui qui a définitivement codifié la cérémonie du thé il y a quelques centaines d’année. A Sakaï on trouve deux ou trois énormes tertres funéraires, un parc, un pavillon de thé où se déroule deux fois par jour une cérémonie du thé publique et un parc où les jeunes jouent au baseball et les vieux au croquet, au mah-jong ou pratiquent la gymnastique. C’est dans ce parc que j’ai entendu Amélie Poulain, plus exactement la B.O. de ce film jouée avec perfection à l’accordéon par un tout vieux japonais, qui tournait le dos au parc et au monde, dégageant une tristesse infinie en jouant cette musique face à un bosquet, pour les buissons et pour lui…